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« Previous Page Table of Contents Next Page »main, le déplacement d’air est frais. Par contre, lorsque vous soufflez au travers d’un morceau de tissu léger, déplacement d’air est bien plus froid. C’est pour cette raison que pend une sorte de tapis en rotin devant les hautes fenêtres ouvertes et sans vitre. Cela empêche en effet le vent de souffler au travers. Devant les murs se trouve une rangée d’arbres dont la couverture des feuilles filtre les rayons du soleil lors des mois chauds d’été. Sans doute pourrions-nous économiser des tonnes de CO2 et de climatisation si l’on pouvait envoyer nos architectes faire un stage dans les entrepôts de Jerez.
Le reste de la journée se compose de repas, de dégustations et de visites. Après une courte mais intense nuit de repos commence le jour de vérité. C’est le moment du concours en lui-même. La tension monte, la cuisine déserte de la veille se transforme tout à coup en un temple de stress pour les cuisiniers. Sont pré-sents des photographes, des journalistes et des caméras venant des quatre coins du monde, accompagnés de câbles et de fashs ainsi que de leurs interprètes respectifs. L’école hôtelière semble bel et bien transformée en studio hol-lywoodien. Une équipe débutera les travaux toutes les dix minutes. Une heure plus tard, c’est au tour de la première équipe de se pré-senter devant le jury.
Dimitri, notre chef, commence son entrée. Le jury n’est pas des moindres et se compose comme suit : le président Juli Soler , ancien partenaire de Ferran Adria’s, du restaurant mondialement réputé, El Bulli. Ce dernier est accompagné de Josep Roca , sommelier chez El Celler de Can Rocan ; Julian Serrano , un des plus prestigieux cuisiniers au monde, qui exploite le restaurant Picasso du Bellagio Ho-tel à Las Vegas ; Jancis Robinson , première femme «Master of Wine», critique de vins au-près du Financial Times et, enfn et surtout,
Pontus Elofsson , sommelier en chef du meil-leur restaurant au monde, le Noma. Mon premier passage se déroule de manière quelque peu chaotique. Ayant la certitude de devoir déguster mon vin en compagnie du ju-ry tout en le commentant, je commence spon-tanément par annoncer comment ce Manza-nilla se déploie dans le verre. Mais en réali-té, le jury ne souhaite savoir qu’une chose: «pourquoi ce vin est-il assorti aux langous-tines de Dimitri ?» Le plaidoyer de mon vin et de mon menu est donc reporté à plus tard, ce qui écourte fortement le temps qui m’est im-parti. Tout à coup, le président s’écrie : «stop, stop,… vous pouvez y aller !» . La remarque me choque légèrement. La présentation du plat principal est plus contrôlée et concrète. Cette fois, je sais exactement ce que le jury attend et je me mets aussitôt à défendre le ma-riage du vin et du plat.
Canard sauvage avec en accompagnement du cèpe de Bordeaux, une petite sauce agrémen-tée de «single malt» arrivé à maturation dans une barrique Oloroso de Sherry. Le vin qui accompagne le plat est un «Gutierrez Colo-sia Oloroso» provenant d’un petit viticulteur, Juan Carlops, établi près de la rivière à El Puerto de Santa Maria. «Connaissez-vous éga-lement le nom de son épouse ?» demande le président. L’homme se comporte tel un enfant hyperactif. Il ne cesse de produire de drôles
de bruits et de mettre de la nourriture dans la bouche de ses voisins de table. Quel «rear-do» ! Ma réponse est «Non, mais je me rap-pelle bien le nom de son chien.» Cette réplique arrache un sourire aux autres membres du ju-ry. Ce n’est que plus tard dans la soirée que j’apprends pour quelle raison il m’a posé cette question. C’est en effet à ce moment précis que l’épouse de Juan Carlos a fait son entrée dans la salle de concours. C’était en quelque sorte sa manière de la saluer.
Ma dernière entrée en scène se révèle la plus aisée, preuve que l’expérience porte ses fruits. Probablement trop tard, certes. De l’East In-dian Solera mi sucré de Lustau sur canapé de massepain, ganache de praliné, sorbet Gran-ny Smiths et tranches de nougatine. Je suis confant et calme. Les arômes de torréfaction du sherry se marient parfaitement avec ce me-nu.
Après avoir affronté la salle de presse pour la troisième fois, nous terminons sous les applaudissements et avec une tape amicale dans le dos de la part du responsable de notre équipe. Dimitri est satisfait de notre perfor-mance. Personnellement, mon sentiment est plus mitigé mais je suis néanmoins fer de notre prestation malgré le peu d’informations et du temps de préparation dont nous avons bénéfciés.
Désillusion et désir de vaincre C’est en fn d’après-midi que l’équipe amé-ricaine parvient à me convaincre de visi-ter « Tradition ». Malgré la fatigue, j’accepte finalement l’invitation. Dès mon arrivée, je sais que j’ai fait le bon choix. Nous sommes accueillis par Lorenzo Garcia-Iglesias Soto, qui ne tarde pas à nous faire part de la philo-sophie de la maison. «A l’exception du Pedro Ximénez, aucune bouteille de moins de 30 ans ne quitte les caves,» précise-t-il. «Nous tra-vaillons sans aucun système de pompes et tout se fait manuellement.» Pépé , un homme qui a travaillé pendant 35 ans pour Domecq mais est actuellement employé chez Tradition de-puis 15 ans, parvient à m’émouvoir. «Ne vous gênez pas, choisissez une barrique,» déclare l’homme d’un certain âge. «Je connais exac-tement la saveur de chaque goutte entreposée dans cette cave et je me rappelle même où j’ai autrefois acheté chaque barrique sur le marché
de l’occasion.» Quelles connaissances pouvait donc bien avoir cet homme et jusqu’où irait sa mémoire gustative de ces dernières décen-nies ? Après une démonstration de la manière dont il travaille quotidiennement - à la main et à l’aide de son vieil outillage - pour rafraî-chir la «solera» à l’aide de vin plus jeune, je suis totalement convaincu. Pépé est mon nou-veau héros et j’ai même du mal à retenir une larme d’émotion en présence de mes adver-saires venus des États-Unis. Une fois cette su-blime dégustation achevée, nous avons encore droit à une visite à la galerie d’art privée de la maison. Même si je n’y connais pas grand chose en matière d’art, je ne parviens pas à détacher mes yeux des œuvres: sous 4 petites dalles, une plaquette mentionne le nom de
Pablo Picasso .
Un Américain s’écrie alors «Nous devons par-tir immédiatement !» En effet, nous aurions déjà dû être à la remise des prix. Après les dis-cours de quelques personnes haut placées, les résultats nous sont communiqués de la bouche d’un autre membre du jury. Meilleure entrée: Danemark • Meilleur plat principal: Pays-Bas • Meilleur dessert: Es-pagne • Meilleur sommelier: États-Unis • Meilleur cuisinier: à nouveau Espagne • Ga-gnant toutes catégories du Copa Jerez: «à nou-veau» Espagne
Pour la Belgique: des clous ! Affrmer que nous ne sommes pas déçus serait un men-songe. Remporter au moins un des prix aurait été plus honorable. C’est donc de manière ef-facée que nous nous rendons à la cérémonie de clôture. Le famenco pourtant entraînant nous semble tout à coup ressembler à une scie circulaire qui fait des ratés et les tapas n’ont plus aucune saveur. Heureusement, la visite de l’ancienne ville de Séville réussit à nous re-monter le moral. Avec ses jambons fumants qui pendent au plafond, ses plats de poisson riches en huiles et ses dalles antiques, le vieux café où nous nous arrêtons nous fait penser à une pièce de théâtre. Nous noyons notre dé-ception dans les petites ruelles de la ville et dans un délicieux verre de Sherry. Mon meil-leur souvenir ? Les compliments du sympa-thique Josep Roca qui m’a désigné comme son favori. Ce clin d’œil m’incitera certainement à revenir dans deux ans, non pas pour le spec-tacle, mais pour la richesse de l’expérience.
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