Page 42 - Flipbook VINO 5-2011 FR (2)

Le domaine de Neuras («le lieu des eaux abondantes», en dialecte khoikhoi) est une oasis naturelle, sise sur une faille géologique qui permet la remontée et la retenue d’eaux souterraines, sans forage, ni pompage. Dès la fn du XIXème siècle, l’oasis a été repérée et aménagée en grenier à nourriture pour l’ar-mée coloniale allemande, la Schutztruppe . En 1996, l’ancien dirigeant de Shell Nami-bia, Allan Walkden-Davies, y a élu domicile, avec son épouse Sylvia. «Je voulais vivre ici en autarcie et passer ma retraite à peindre et à écrire» , déclare-t-il. A côté des palmiers, du potager, il note la présence d’importantes sou-ches de vignes à raisins de table. Un ami oe-nologue sud-africain lui affrme alors que si le raisin de table arrive correctement à maturité, il doit pouvoir produire des raisins de cuve et du vin. Allan Walkden-Davies plante des bou-tures des plus vieilles Shiraz d’Afrique du Sud et essaie le Merlot. Le vin issu de la première vendange, en 2001, est, de l’aveu même du propriétaire «désastreux» .

Des filets contre les babouins

En 2002, sur les conseils d’Abrie Bruwer, oe-nologue star en Afrique du Sud, Allan part étudier l’oenologie au Cap et s’équipe sérieu-sement. Ce perfectionniste applique au vin la philosophie qui le guide dans la peinture et l’écriture: «Je ne crois pas à l’inspiration qui vous touche par hasard ou par miracle. C’est en travaillant tous les jours qu’on lui permet de se manifester» . Il plante de nouveaux clô-nes de Shiraz, plus adaptée à la chaleur que le Merlot, et se tourne vers le Petit Verdot, dont la maturité tardive se plaît dans le climat contrasté qui caractérise Neuras.

Le vent d’Ouest porte jusqu’au domaine la fraîcheur et l’humidité de l’océan Atlantique (la côte namibienne est baignée par le courant froid Benguela) : même quand les températu-res dépassent 35° le jour, elles tombent à 10°

la nuit. Cette amplitude thermique permet une lente maturation des raisins, qu’il faut tout de même protéger : des flets sont ten-dus sur les vignes: ils interceptent entre 10 et 15 % du rayonnement solaire et découragent oiseaux, antilopes... et babouins !

100 % bio dans le désert Un système de bassins et un réseau de canaux d’irrigation ont été aménagés à l’époque, per-fectionnés et renforcés depuis. La source for-me un bassin qui abrite deux espèces de pois-sons uniques au monde (mêmes si elles sont proches de celles que l’on observe dans les ra-res cours d’eau alentours). Tout à Neuras est dédié au respect de l’équilibre fragile et inédit qui s’est créé autour de l’oasis. La sécheresse du climat permet de minimiser au maximum les besoins en traitement, «on est 100 % bio sans souci ici» , s’amuse Allan Walkden-Da-vies. Avec deux vendanges en vert, les rende-ments ne dépassent pas 3 à 4 hectolitres sur l’unique hectare du vignoble. Pas de chaptali-sation ni d’osmose inverse, rien de tout ça. Les vins sont élevés dans des barriques de chêne du Limousin.

Unvin, unvrai de vrai

Mais alors, à l’arrivée, les vins de Neuras, ça donne quoi ? Très franchement, quand on voit la recette, on craint le pire: irrigation de bout en bout, un soleil à faire fondre le sa-ble en verre,... Même si la température bais-se la nuit, pourra-t-on parler d’équilibre ? On se dit qu’on aura affaire à des vins si inédits et déroutants qu’on pensera davantage à une curiosité qu’à un grand cru. Mais dès le pre-mier nez, il faut se rendre à l’évidence : pas de monstre en vue. Au contraire: le Shiraz 2008 est dense et profond, avec un fruit rou-ge et noir bien équilibré par une acidité fraî-che. Le Namib Red (assemblage Merlot-Shi-raz) est marqué par des arômes de fruits rou-ges fnement chocolatés. On n’aimerait certes pas avoir à l’identifer à l’aveugle (le piège ul-time!!) car on serait bien en peine d’identifer ce terroir et ce travail de vigneron, et c’est bien de cela qu’il s’agit.

Allan Walkden-Davies vend sa production sur place (le Namib Red coûte l’équivalent de 15€ et le Shiraz environ 25€) ainsi qu’à quelques

A l’exception de sa frontière nord, la Nami-bie est une vaste plaine blanche et sèche coincée entre l’Afrique du Sud et l’Océan Atlantique, où le désert du Kalahari rejoint celui du Namib. Contre toute attente, en pleine zone désertique, un vignoble d’un hectare prospère à une heure de route des immenses dunes rouges de Sossusvlei.